Ces chênes qu’on abat... pour les exporter en Chine [Opinion]

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Ces chênes qu’on abat ne font guère de bruit. Pourtant, la France est par essence le pays du chêne, 41% de nos massifs étant recouverts par sept espèces nationales. Mais l’an passé, un chêne sur deux vendu en France est parti directement vers la Chine (sans même compter ceux transitant par des ports étrangers au sein de l’Europe).

Cette année, ce sont désormais deux sur trois qui suivent le même chemin, rejoignant l’autre bout du monde par bateau. Certes, la Chine, qui vient de décider de protéger ses propres forêts pour 99 ans, a tout-à-fait le droit de se fournir en bois en France. Mais faut-il pourtant la laisser faire aussi librement ? En effet, ces exports massifs de grumes se font dans l’indifférence la plus totale des autorités françaises, bien que la Fédération Nationale du Bois tire la sonnette d’alarme et que la relance de la filière bois française fasse officiellement partie du plan de relance gouvernemental.

Le phénomène s’accélère : depuis six mois, 35% à 100% des volumes de chênes de la forêt privée partent à l’export, principalement en Chine, dans un contexte de reprise économique post-pandémie. La pression sur les ressources françaises, aussi riches que de qualité, est d’autant plus forte que d’autres pays, eux, ont décidé de stopper l’hémorragie : la Russie interdira l’export de grumes au 1er janvier 2022, tout comme l’ont décidé la Roumanie, la Turquie et le Japon. Pologne et Croatie sont sur le point de faire de même. « Le seul pays où cela reste facile, c’est la France. Il y a des possibilités de prendre un moratoire. J’en appelle à nos gouvernants pour prendre des mesures immédiates », déclarait tout récemment Jacques Ducerf, président de la Fédération Nationale du Bois sur l’antenne de Sud Radio. Si en termes d’écologie comme de coût carbone, ces exportations sont une catastrophe, d’un point de vue économique, le sujet n’est pas non plus anodin : la filière bois représente 450 000 emplois, soit plus que l’industrie automobile. En cas de rupture d’approvisionnement, les entreprises de transformation devront marcher au ralenti ou fermer. Déjà, la France compte aujourd’hui moins de 1500 scieries, contre 5000 en 1980 et 15 000 dans les années 1960.

Il faut dire que, face aux traders du bois, la France est un véritable eldorado : alors que 74% de la surface boisée est constituée de forêts privées, aux côtés des forêts domaniales et communales, le marché fait sa loi. Résultat : les exportations françaises de chêne ont été multipliées par dix en dix ans, passant de 50 000 m3 en 2007 à 500 000 m3 en 2017. Sans décret de l’exécutif interdisant sans attendre l’exportation de grumes de France, le mouvement ne fera que s’accélérer. Un paradoxe au moment où l’on parle délocalisation et où l’usage du bois dans la construction est en plein essor. En effet, au lieu d’exporter du bois brut, la transformation des grumes de chêne en France permettrait de créer des emplois et de la valeur ajoutée dans les territoires. Bien évidemment, à l’importation, la Chine taxe les grumes à 0% quand un parquet en bois transformé sera taxé à 30% : entre taxes et main d’œuvre peu coûteuse, mieux vaut transformer le bois au bout du monde plutôt qu’en France… Comment, dans ces conditions, parvenir à relocaliser la transformation de chêne en France ?

Judikael Hirel

Source : Canopée

Cet article est publié à partir de La Sélection du Jour.


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